Un seul en scène sur les algorithmes: pourquoi?

« La protection de notre intégrité numérique, tout le monde s’en fout. »

C’est ce que je me dis, accoudé à la table d’un café du centre-ville de Genève, lorsque l’opportunité de déposer une demande de bourse pour l’écriture d’un seul en scène arrive dans mes mails.

On sentait bien, en 2022, que quelque chose de « l’utopie internet des débuts” s’était déjà un peu étiolée. Il y avait des indices: Google avait supprimé son slogan “Don’t be evil” de son code de conduite, le gouvernement chinois se profilait en start-up nation de toutes les innovations autoritaires, les composés électroniques terminaient dans des décharges au Ghana et nos déchets “immatériels”, quant à eux, étaient triés par des nettoyeur·euse·s du web aux Philippines.

Le ciel sans nuage des promesses d’un web démocratique, horizontal et transparent semble s’être rempli de clouds. Désormais, toutes les dimensions quantifiables de nos vies se trouvent stockées dans d’imposants serveurs qui consomment autant d’énergie que certains pays, enterrés loin des yeux trop curieux, sous les montagnes de promesses d’alors. Derrière les apparats du progrès et de l’innovation, à quoi (et surtout à qui) servent réellement les “services numériques” ?

Ce nouveau monde digital soulève la critique et les nouveaux qualificatifs prospèrent. Tantôt “économie de la surveillance” selon la professeure de Harvard Shoshana Zuboff, “technoféodalisme” selon le professeur de l’UNIGE Cédric Durand, emprisonnant les gens au coeur d’un “technococcon”, comme évoqué par l’auteur de science-fiction français Alain Damasio.

Pourtant…“tout le monde s’en fout.”
Oui car, a priori, on ne vit pas sous le joug d’un tyran. Après tout, notre rivière n’est pas polluée par une société minière. On ne travaille pas non plus 14h par jour dans la chaîne de montage d’une usine de textile. Pourtant, quelque chose se trame dans l’ombre et il semble que bien peu de gens aient été consultés. Est-ce qu’il ne faut pas faire attention, si le projet de “l’économie de l’attention” s’est justement de la dérober, à tout prix et à des fins commerciales ?

Parce que l’attention précède toujours d’autres étapes qui comptent, que ce soit l’émergence d’une intention, d’une action collective, du care, ou d’un simple souvenir mémorable? Les études se multiplient pour dénoncer la réduction de notre temps d’attention, remettant ainsi au goût du jour le poète étasunien William Meredith qui nous mettait en garde: “Le pire que l’on peut peut dire d’un homme, c’est qu’il n’a pas prêté attention.”

« La protection de notre intégrité numérique, tout le monde s’en fout. »

C’est ce qui a motivé la création de ce spectacle.